Sur le terrain d’aventures, il y a de la pente. Et il y a un bidon. Un grand bidon qui a un jour accueilli des mangues au sirop, et qui peut aujourd’hui accueillir trois enfants bien tassés à l’intérieur.
Sur le terrain d’aventure, il y a de la canisse : une clôture de bambou. Fastidieusement et laborieusement posée pendant trois jours par les soins d’une équipe de jeunes du quartier et de l’équipe d’animation. C’est dur de poser de la canisse et en plus sur le terrain d’aventures, il y a de la pente. La canisse ferme le terrain d’aventures au beau milieu de celle-ci.
Sur le terrain d’aventures, il y a des enfants…
Il y a une petite pente sur le haut du terrain et la deuxième semaine d’ouverture, Ziad et Youssef décident que l’un d’entre eux ira dans le bidon pendant que l’autre le propulse dans la pente. Hurlements de peur et de joie mélangées, et premiers accrochages avec le conteneur, des panneaux, un banc, voire des personnes qui ont le malheur de traverser au mauvais moment. Et en plus, ils s’appuient sur la canisse pour partir du plus haut possible ! Intolérable. Nous nous devons de réagir, ce crime lèse-canisse ne restera pas impuni. Nous leur expliquons la fragilité de la canisse, leur demandons de faire attention au point de départ, et d’essayer de viser un point d’atterrissage libre. Succès mitigé, mais il y a du progrès.
« Rhaa non les gars, la canisse ! On avait dit on s’appuie pas dessus !
— Ah ouais , pffff... »
Un certain nombre d’objets finissent dans la canisse en bas du terrain : tracteur à pédale, pneus, palette à roulettes. Ce sera bientôt le tour du bidon.
Au début, le grand jeu est de lâcher le bidon dans la grande pente et de le retenir avant qu’il ne viennent s’écraser dans la canisse. Après quelques ratés et propositions d’aménagement, la menace est lancée : « Attention, on va l’enlever le bidon ! »
Problème supplémentaire : les enfants ont gagné en confiance et en compétence. Ils connaissent bien la dynamique du bidon, comment se placer à l’intérieur et gérer le tournis. Ils commencent à se mettre dans le bidon et se jeter dans la grande pente. A croire qu’ils se rendent compte que c’est dangereux, ils vont même chercher des casques dans le conteneur !
Problème supplémentaire : les enfants ont gagné en confiance et en compétence. Ils connaissent bien la dynamique du bidon, comment se placer à l’intérieur et gérer le tournis. Ils commencent à se mettre dans le bidon et se jeter dans la grande pente. A croire qu’ils se rendent compte que c’est dangereux, ils vont même chercher des casques dans le conteneur !
Nous, ça nous fait un peu peur. On reste à côté, on observe, on pose des questions. « Mais tu es sûr là ? Tu vises bien au moins ? Attention quand vous vous mettez dans la pente pour freiner le bidon ! » Des règles de sécurité sont posées avec les enfants. Les animateurices sont rassuré.e.s.
Plusieurs enfants jouent avec le bidon mais c’est bien Ziad et Youssef qui ont maintenant l’équivalent d’un doctorat ès bidon. Ils conseillent et accompagnent les nouveaux (parfois non sans brutalité) et organisent le jeu. Une fin d’après-midi, le bidon est près du conteneur et n’est pas utilisé. Tessa et Melia s’en approchent, et commencent à le remonter sur la petite pente. Elles ne sont pas très rassurées mais ont envie. Elles n’ont pas encore pris part aux jeux de bidon, sont plus petites et n’ont pas encore l’habitude des jeux de vertige sur le terrain (grimpe, balançoires…) Très vite Youssef s’approche, leur montre la technique et propose les casques à vélo rangés dans le conteneur.
Une après-midi comme une autre : des cabanes, de la balançoire, du bricolage, du jeu et là... BANG ! Ce bruit si caractéristique de la rencontre d’un bidon et de la canisse. Encore. Il faut dire que ça fait plusieurs fois aujourd’hui, et que nous avons réparé la canisse à plusieurs reprises depuis le début de l’été.
« Oh mais merde là, la canisse Ziad !!!
— On a pas fait exprès ! On a bien visé mais…
— Non mais sérieux, c’est dur là ! Faites gaffe quand même !
— Arrête de gueuler Tom, puisqu’on te dit qu’on a pas fait exprès !
— Bon, y’en a marre, faut qu’on trouve autre chose... »
Je remonte le bidon. Conciliabule avec un autre animateur. L’espace vert sur lequel le terrain d’aventure est délimité se poursuit sur 200 mètres. Sur ces 200 mètres, il y a une très grande pente. La décision est prise : nous proposons aux enfants d’aller à côté, là où il y a une ENORME pente.
On essaye et là catastrophe, la pente est plus longue mais elle est moins forte ! Ca ne va pas assez vite et en plus au premier essai, le bidon (avec un enfant dedans) dévie de sa trajectoire et vient mourir contre un gros caillou. Nous sommes à l’extérieur du terrain d’aventures. Nous voyons cette canisse qui tient péniblement debout et là, LA décision est prise avec les enfants. Il faut ouvrir cette canisse.
Il y a maintenant un grand trou dans la canisse. Tout au long de la journée y défilent tracteur, palette à roulettes, poussettes et tout ce qui roule. Ça va très vite, mais le plat qui suit la pente permet de freiner doucement. Les hurlements de terreur/joie rythment la journée. Finalement, après l’ouverture de la canisse, le bidon est moins utilisé (c’est moins transgressif ? ) et on se rend compte que d’autres objets vont bien plus vite. Mais il garde son attrait unique qui le fait ressembler à une machine à laver avec des enfants dedans , et revient régulièrement dans la pente.
Nous on a toujours pas essayé.
Ah oui, et depuis quelques jours, ils se mettent à deux dans le bidon...